Le site forme une vaste cuvette d'un peu plus d'une centaine d'hectares qui s'inscrit dans la zone de source en tête des bassins versants de l'hyères de du blavet. Une végétation remarquable de land=es tourbeuse et de mares de tourbières s'y développe au coeur d'une lande plus sèche à ajoncs et bruyères. On note la présence du Courlis cendré qui y niche et du damier de la succise , papillon protégé au niveau européen.

 LE COURLIS CENDRÉ

Systématique

·         Ordre : Charadriiformes

·         Famille: Scolopacidés

·         Genre : Numenius

·         Espèce : arquata

Descripteur

Linnaeus, 1758

Biométrie

·         Taille : 60 cm

·         Envergure: 80 à 100 cm.

·         Poids : 475 à 1360 g

Longévité

32 ans

Description de la famille

Les Scolopacidés constituent, avec les Charadriidés, un groupe d'oiseaux appelés limicoles, c'est à dire littéralement "oiseaux de rivages". Les Scolopacidés sont majoritairement des oiseaux migrateurs de l'hémisphère nord, mais seul le continent antarctique en est dépourvu.

Description identification

Les courlis sont de grands limicoles au long bec incurvé vers le bas. Avec une longueur de plus de 50 cm, une envergure d'un mètre environ et un poids pouvant dépasser le kilo, le Courlis cendré est le plus grand d'entre eux. Son bec arqué, qui lui a valu son nom spécifique "arquata", mesure 10 à 15 cm. Celui du mâle (10 à 12,4 cm) est plus court que celui de la femelle (13 à 15,2 cm), ce qui constitue un dimorphisme sexuel permettant de reconnaître le sexe des oiseaux sur le terrain. Par ailleurs, à plumage identique, le mâle est légèrement plus petit que la femelle. Il est cependant difficile de sexer un oiseau isolé, sans point de comparaison ; cela requiert une certaine habitude. 
L'oiseau paraît brun de loin, avec le dessous plus clair. De près, on saisit toute la complexité du plumage. Les parties supérieures sont couvertes de plumes brunes munies, suivant leur emplacement, d'ourlets, barres, indentations ou stries beige roussâtre. La tête, le cou et la poitrine sont roussâtres, striées de brun. La gorge est blanche. On note un léger effet calotte du fait du dessus de la tête un peu plus sombre. L'œil sombre est cerclé de blanc. Le bec est brun avec la base de la mandibule inférieure rose. Les flancs blancs montrent des dessins bruns en forme d'ancre. Le ventre est blanc. La queue est nettement barrée. 
Sur un oiseau en vol, le blanc du croupion, remontant en pointe sur le dos, se voit bien car il contraste avec le brun du dessus. En vue inférieure, les ailes sont pâles et mouchetées de brun clair. Les pattes grises dépassent légèrement la queue. 
Les oiseaux de la sous-espèce orientalis sont globalement plus pâles avec le dessous moins marqué de sombre, en particulier les ailes
Le juvénile est davantage chamois, avec les flancs moins marqués, et son bec est plus court.

Habitat

Le Courlis cendré est un oiseau des milieux très ouverts et le plus souvent humides. Il se reproduit dans des habitats assez divers qui ont en commun une vue dégagée, un sol meuble et profond et une grande diversité végétale. Ainsi les marais et tourbières, prairies, landes plus ou moins humides, marais côtiers, etc. peuvent être occupés. Relativement récemment, il s'est adapté aux grandes prairies agricoles, mais les pratiques modernes sont en train de se retourner contre lui. Il peut fréquenter les champs en périphérie, mais uniquement pour se nourrir ou parfois y passer la nuit. Mais il n'y niche pas. 
Au passage et en hivernage, on l'observe volontiers sur les vasières, qu'elles soient littorales (estrans, slikkes, hauts-fonds intertidaux) ou de l'intérieur (sebkhas, grands plans d'eau en vidange par exemple), dans les milieux herbacés littoraux (schorres), les estuaires, les bassins d'inondation, les grandes plaines agricoles. Le parc national du Banc d'Arguin en Mauritanie, avec ses immenses vasières accueillant de très nombreux limicoles, est un bon exemple de milieu favorable. 
Les courlis ont l'habitude de se rassembler pour la nuit en dortoirs populeux. Ce sont des endroits proches des zones d'alimentation mais hors d'eau. Ce peut être des hauts de plage, des îlots émergés, des éminences au milieu des inondations, etc., mais ce peut être également des endroits tout à fait artificiels comme des digues ou des barrages, des marais salants, des bassins industriels, etc.

Comportement traits de caractère

Le Courlis cendré est un oiseau farouche qui craint l'Homme. Il se tient toujours sur ses gardes et à la moindre alerte, prend son envol. Mais un observateur averti et prudent pourra observer sans trop de difficulté ce grand oiseau arpentant la prairie d'un pas décidé ponctué de haltes au cours desquelles il sonde le sol humide de son long bec courbe et sensible à l'extrémité. 
C'est un oiseau grégaire en dehors de la saison de reproduction. Il forme des groupes qui peuvent être importants en migration, en particulier dans les haltes migratoires, ou sur les lieux d'hivernage. 
En revanche, en période de reproduction, les couples sont territoriaux et se partagent les terres favorables en gardant leurs distances. Le retour d'hivernage a lieu de février à mai suivant la latitude. En France, les premiers adultes sont sur les lieux de reproduction dès la fin février, mais la reproduction elle-même, plus tardive, commence en avril. Entre temps, les prairies favorables s'animent de leurs vols de parade et de leurs chants, très démonstratifs. Plus tard, en cours de nidification, on les surprend souvent à poursuivre en plein ciel les rapaces et autres gros oiseaux survolant le territoire et considérés comme des dangers potentiels. À ce moment là, il vaut mieux éviter soi-même de venir en perturbateur dans la prairie, au risque de voir les œufs finir dans le gosier d'une corneille, toujours à l'affût de "bons coups". En cas d'échec de la reproduction, les adultes quittent rapidement les lieux pour ne plus y revenir. En revanche, en cas de réussite de la couvaison, les adultes deviennent très sensibles et réagissent vivement en alarmant à tout ce qui pourrait menacer les jeunes. Peu après que les jeunes soient volants, les familles quittent les lieux jusqu'à l'année suivante. 
À partir de ce moment, le grégarisme reprend le dessus. Il se concrétise en particulier par la constitution de dortoirs nocturnes qui peuvent grouper des centaines de courlis dans des sites particuliers, y compris artificiels comme des bassins industriels en Lorraine par exemple, tout ceci bien sûr dans un but de protection contre la prédation terrestre.
Le vol : Le vol du Courlis cendré est direct et rapide, avec des battements réguliers et soutenus des ailes triangulaires assez longues et arquées, bien adaptées aux vols de longue distance de ce migrateur. Il use également du vol plané, au moment de se poser ou alors lors des vols de parade.

Alimentation mode et régime

Le Courlis cendré se nourrit essentiellement d'invertébrés capturés sur le sol ou dans le substrat dès lors que son bec peut s'y enfoncer. Les proies se recrutent parmi les annélides, les mollusques, les arthropodes et marginalement les petits vertébrés. Il sonde de son long becmuni de cellules sensorielles les sols meubles ou détrempés, les vases et autres milieux riches en organismes vivants. Il se nourrit à l'occasion de baies et de graines, de céréales par exemple. Dans les secteurs prairiaux où il niche, le courlis consomme essentiellement des insectes et des lombriciens. Sur les lieux d'hivernage maritimes, il exerce sa prédation sur la ressource disponible, à savoir les vers marins de la classe des Polychètes, les petits crabes et les mollusques. On a pu montrer que le régime variait alors suivant le sexe du fait de la longueur du bec, plus court chez le mâle. Les mâles se tournent de préférence vers les crabes alors que les femelles recherchent volontiers les mollusques bivalves, plus profondément enfouis dans le substrat.

Reproduction nidification

La période de reproduction du Courlis cendré commence par des parades nuptiales destinées à la formation puis à la cohésion des couples territoriaux. Le mâle émet son chant sonore lors du vol nuptial. Ce vol comprend une phase ascendante rapide et raide avec force battements d'ailes vigoureux et se poursuit par une longue descente planée au cours de laquelle retentit le chant qui finit en trille. Au sol, le mâle suit la femelle qui s'esquive, le manège pouvant durer des jours jusqu'à ce que la femelle soit réceptive et consente à l'accouplement. Le lieu de la nidification est probablement choisi par la femelle qui "essaie" plusieurs endroits en tournant sur elle-même et en s'aplatissant au sol tandis que le mâle l'observe. L'endroit choisi est en principe une partie un peu plus élevée du territoire, à l'abri d'une subite inondation et d'où le couveur peut avoir en début de couvaison une vue dégagée dans toutes les directions. 
Le nid est construit sommairement de quelques herbes sèches déposées à même le sol. La femelle y pond en moyenne 4 œufs (3 à 5) d'un brun olive sombre, tachetés de brun plus foncé, qu'elle couvera, occasionnellement relayée par le mâle, pendant 27 à 29 jours. Le nid est réputé introuvable du fait de l'homochromie des œufs. Comme chez tous les nidifuges, les éclosions sont quasi-simultanées, ce qui permet aux pulli de quitter le nid ensemble. Les poussins se nourrissent seuls après quelques jours seulement mais ne prendront leur envol qu'au bout de 32 à 38 jours. Dans les pays nordiques, leur élevage revient davantage au mâle, ce qui permet à la femelle de quitter les lieux plus tôt afin de se refaire une santé. En France, la femelle prend en charge la quasi-totalité de la couvaison et ne quitte généralement pas ses petits avant qu'ils ne soient presque volants. Le mâle est quant à lui principalement chargé de leur protection pendant toute cette période.

Distribution

Le Courlis cendré est une espèce eurasiatique dont l'aire de reproduction s'étend aux latitudes tempérées des îles Britanniques à la région de l'Amour en Extrême-Orient, sans toutefois atteindre le Pacifique, et du nord de la Scandinavie au sud de la France et de l'Ukraine et au nord de la Mongolie. La sous-espèce orientalis occupe la partie orientale de l'aire à partir de la Sibérie centrale. 
L'aire d'hivernage est disjointe, excepté en Europe de l'Ouest où l'espèce s'observe en hiver autour de la Mer du Nord, de la Manche et sur la bordure atlantique. Elle s'étend le long de tous les littoraux méridionaux, littoral méditerranéen, ensemble des côtes de l'Afrique, de la péninsule arabique, du sud et du sud-est de l'Asie (de la Corée au nord à l'Indonésie au sud), mais pas de l'Australie. Les grands bassins d'inondation et grandes zones humides de l'intérieur du continent africain et du sud du continent eurasiatique sont également occupés (bassin du Niger, bassin de l'Indus,...).

Menaces - protection

Jusqu'à il y a peu, l'espèce était considérée comme non menacée. Mais récemment, elle est entrée dans la catégorie des espèces vulnérables du fait de plusieurs facteurs ayant un impact négatif sur sa démographie. 
Son statut mondial est "quasi-menacé". En Grande-Bretagne, après une chute de 48% de ses effectifs en 20 ans, le Courlis cendré vient tout juste d'intégrer la liste rouge nationale. Il est question de lui donner la priorité absolue en matière d'actions de conservation
Prenons l'exemple de la France. La population nicheuse vient d'être classée "vulnérable" (statut probablement encore trop optimiste car aucune mise à jour fiable des effectifs nicheurs - et donc des tendances - n'étant disponible depuis de nombreuses années, ce sont des chiffres anciens qui ont été repris dans l'analyse). La population hivernante est quant à elle considérée comme non menacée. 
En cause, les pertes d'habitat dus aux changements en cours dans l'occupation et la gestion des sols et des espaces. Le Courlis cendré a connu une période faste en s'adaptant aux prairies de fauche extensives qui ont longtemps prévalu. Malheureusement, l'agriculture s'est modernisée, mécanisée pour plus de rentabilité et les pratiques modernes, notamment l'ensilage et l'enrubannage, menacent à terme le maintien de l'espèce
Sur ses lieux de reproduction traditionnels, le Courlis cendré est victime : 
- du retournement des prairies de fauche au profit de la culture, pendant longtemps primes à l'appui. C'est ce qui a provoqué par exemple la disparition de l'espèce d'Alsace, les rieds ayant été transformés en champs de maïs, 
- du drainage asséchant les prairies, 
- du roulage des prairies au printemps visant à supprimer les taupinières et autres aspérités du sol, et pouvant entraîner une destruction de couvées précoces, 
- de l'apport d'intrants, fertilisants en particulier, qui stimule la croissance de la couverture herbacée (qui devient trop haute et trop dense pour l'élevage des nichées) et qui également fait chuter la diversité végétale si précieuse au courlis. Par ailleurs, la fertilisation des parcelles est source de nombreux dérangements, parfois rédhibitoires si la ponte avait déjà eu lieu, 
- de la fauche de plus en plus précoce des prairies, corrélativement aux changements climatiques en cours, qui réduit à néant la nidification du courlis. La pratique de l'ensilage ou de l'enrubannage permet de stocker le produit des fauches d'avril-mai et se révèle tout particulièrement néfaste. 
Pour contrer ces effets négatifs ont été mises en place depuis un certain nombre d'années des mesures agri-environnementales permettant d'appliquer aux zones majeures de nidification du Courlis cendré (et du Râle des genêts, victime au même titre que le courlis) une gestion agricole adaptée. En contrepartie de compensations financières, les agriculteurs volontaires acceptent de faucher plus tardivement leurs parcelles pour permettre aux nichées de prendre leur envol. 
Il y a également le problème de la chasse. A la suite d'un moratoire portant jusqu'en 2018, l'espèce y échappe sur les lieux de reproduction, mais pas sur les voies de migration ni en hivernage (elle est chassable sur le Domaine Public Maritime, en France). Or, du fait de l'évolution négative de son statut, sa chasse devrait être prohibée en tout temps et partout.

 

 

L'association " Forum Centre Bretagne Environnement " (F.C.B.E) a été fondée en 1991 pour mieux connaître, protéger et gérer les milieux naturels caractéristiques de l'intérieur : landes, tourbières et prairies humides. En 1997, dans le cadre d'un programme européen de protection des tourbières, cette association a engagé des actions conservatoires sur deux sites naturels du SudOuest des Côtes d'Armor : Prat ar Mel, en Lescouët-Gouarec et Crec'h an Bars, en Saint Nicodème. C'est de ce dernier site dont il sera question dans cet article.

 A propos de la notion de " site naturel " En Bretagne, il n'existe pas, depuis plusieurs siècles, de nature vierge. Les activités humaines se sont déployées partout, du sommet des Monts d'Arrées jusqu'à la plus petite île. Jusque dans les années 1950, les activités paysannes n'ont évolué que très lentement : le paysage n'a pas connu de bouleversement si rapide qu'il ne permette aux espèces animales et végétales sauvages de s'adapter, de coloniser les milieux lentement modifiés. Dans les années qui ont suivi, en particulier à partir de 1960, c'est une véritable révolution qui s'est produite : migration de la jeunesse vers les villes, mécanisation, intensification et rationalisation des techniques, sélection génétique des animaux, développement de l'élevage hors-sol... Alors que les paysans transmutaient en "cultivateurs" puis en "agriculteurs", une nouvelle espèce apparût : le "naturaliste", baptisé "écolo" à partir des années 1970. En fait, face à une évolution aussi rapide, il devenait urgent de commencer à faire des inventaires et des diagnostics de milieux qui disparaissaient à grande vitesse car ils avaient perdu tout intérêt économique : boisement des landes en résineux, drainage et mise en culture des prairies humides et des tourbières, création de décharges d'ordures, de plans d'eau, envahissement des fonds de vallée par les saules Quelques naturalistes précurseurs ont alors montré qu'on trouvait là des espèces sauvages vraiment très particulières. Certaines plantes subsistent depuis l'époque glaciaire ou sont capables de piéger et de digérer des insectes, faute d'Azote disponible dans le sol ; des chenilles se tissent une tente dans les herbes denses pour s'abriter du froid et de l'humidité ; des oiseaux, comme le Courlis cendré, nichent au sol sur la lande fauchée, peu prospectée par les prédateurs, et emmènent leurs petits capturer les insectes dans les prairies pâturées par les bovins... Les landes tourbeuses de Crec'h an BARS,en saint nicodème : un patrimoine naturel à préserver.

 Au Nord du bourg de Saint Nicodème, entre les routes de Kroaz Tasset, de Ty Bourg et de Saint Servais, existe une vaste dépression (une centaine d'hectares), assez plate et proche de la ligne de partage des eaux du ruisseau du Loc'h, affluent du Blavet et d'un petit affluent de l’Hyères qui traverse la forêt de Duault. Dans cette dépression, l'eau a tendance à stagner sur une couche d'argile imperméable. Un microclimat, de type "breton continental" froid et humide, et l'eau acide, qui s'écoule du granit, ont permis le développement d'une végétation particulière des tourbières et landes humides. Les landes tourbeuses de Crec'h an Bars avaient donc été répertoriées pour la richesse de leur faune et de leur flore. Aucun chemin ne traverse cet espace, il est peu visible des routes alentours : la tranquillité des lieux est assurée. Des activités agricoles traditionnelles, perpétuées jusqu'à très récemment, avaient maintenu le site en bon état de conservation. En 1997, le F.C.B.E. avait proposé ce site au programme "Life Tourbières de France" : les financements de ce programme européen permettaient de compléter l'inventaire naturaliste, de réaliser des travaux de gestion des milieux naturels, de passer des conventions avec les propriétaires ou les exploitants, de louer ou d'acheter des parcelles... Après quelques réunions d'explications préalables avec la municipalité, les agriculteurs, les chasseurs, la confiance s'est assez rapidement établie, suffisamment pour engager des actions conservatoires. du patrimoine naturel au patrimoine culturel A Crec'h an Bars, on parle de Landes tourbeuses parce que, au gré du microrelief, on trouve une mosaïque de cortèges végétaux en étroite imbrication. Les landes sont implantées sur les parties les moins humides. On parle de Lande un peu humide ou humide lorsque sont associées, au moins, trois plantes : une bruyère (ciliée ou à quatre angles), une graminée (la Molinie bleue) et l'Ajonc de Le Gall (hybride naturel entre l’Ajonc d'Europe et l'Ajonc nain). Les landes se sont développées sur des terrains peu propices à la culture : sol peu épais, acides et donc riches en matière organique non décomposée. Partout en Bretagne, elles ont été fauchées pour servir de litière aux animaux ; la fauche de la lande constituait donc une exportation d'éléments nutritifs qui contribuait à appauvrir encore le milieu. Les tourbières occupent les petites dépressions inondées en quasi-permanence. Les plantes caractéristiques des tourbières sont les sphaignes : ce sont leurs débris incomplètement décomposés qui forment la tourbe. A Crec'h an Bars, la tourbe ne dépasse pas une épaisseur de vingt ou trente centimètres. D'autre petites plantes sont spécifiques de ce milieu très pauvre et gorgé d'eau : les célèbres plantes " carnivores " Droseras et Grassette du Portugal, le très rare Lycopode inondé, la Linaigrette au plumet cotonneux.... Pour compléter la mosaïque, on trouve aussi des prairies humides à joncs (diffus et acutiflore) et quelques zones de bas-marais, à proximité de l'écoulement central. Partout en France, la mise en œuvre de mesures de gestion conservatoire est très récente. On manque de références et il s'agit, le plus souvent, d'arriver à reproduire, par des moyens contemporains (à des coûts si possible raisonnables), les effets de techniques aussi manuelles qu'ancestrales (défense de rire !). En effet, toute cette richesse naturaliste résulte manifestement d'activités humaines très anciennes et ininterrompues sur un milieu paradoxalement très pauvre. Ces activités sont inscrites dans le paysage : les fossés d'écoulement au pied de talus très hauts, les cuvettes évasées creusées au milieu des parcelles, les traces de cultures en billons sur les landes les moins humides ; elles sont aussi inscrites dans le découpage cadastral, dans la toponymie...Tant d'efforts déployés par des générations de paysans souvent très pauvres, sur un espace maintenant en voie d'abandon, inspire, pour le moins, un peu de curiosité sinon le plus profond respect. Et, puisque le site était en assez bon état de conservation, il y avait donc de fortes chances de trouver, sur place, des acteurs ou des témoins de ces activités passées.

 Les descriptions qui vont suivre résultent d'informations recueillies auprès de personnes qui ont passé une grande partie de leur vie à proximité du site. Elles sont toutes nées entre 1921 et 1941 : ces témoignages concernent donc une période allant de 1940 à 1960 environ. Ils ont été collectés au cours d'entretiens individuels, en 1997, lors de l'enregistrement d'une émission radiophonique par Radio Kreizh Breizh, le 22 Janvier 1998 et lors de la réalisation d'une séquence télévisée par FR 3 Bretagne, le 17 Mars 2000. A Saint Nicodème, à l'Ouest de la route de Ty Bourg à Croaz Tasset, plusieurs lieux-dits portent le nom de " Convenant " : Convenant Le Borgne, Convenant Tannou, Convenant Ty Glas, Convenant Blei... Les convenants datent du XII ème et XIII ème siècle : ils résultent d'accords passés entre les propriétaires et les paysans par lesquels ces derniers pouvaient disposer gratuitement de zones particulièrement ingrates, à condition qu'ils en assurent l'entretien. Les bâtiments construits sur les convenants appartenaient aux paysans. La grand-mère paternelle d'Emile Merrien, de Convenant Tannou, s'appelait Tannou. Le parcellaire cadastral suscite quelques interrogations : - les deux tiers Est et Sud du site sont composés de parcelles de grande taille. Il y a un fractionnement cadastral mais qui n'est pas matérialisé sur le terrain par des limites physiques (fossés ou talus). Par exemple, les parcelles n° 608, 609, 610, 481 forment un seul vaste espace : les divisions cadastrales, de formes très géométriques et de surfaces égales, doivent correspondre à des partages familiaux ; d'ailleurs, tout ce secteur appartenait à la famille Prigent de Quillaëron. N'y a-t-il pas eu une période où tout cet espace était un bien communal ? - au contraire, à proximité de Nonnennou, le morcellement parcellaire est extrême et toutes les parcelles sont entourées de talus et de fossés La consultation du cadastre napoléonien apporterait, sans doute, quelques éléments de réponse. La plupart des grandes parcelles de landes tourbeuses de Crec'h an Bars portent le nom de "convenant" mais, faute de place dans les colonnes des matrices cadastrales, leur dénomination complémentaire n'apparaît pas. Les personnes interrogées ont cité quelques autres noms d'usage. On peut distinguer trois catégories de parcelles : - "Park" : terme général pour désigner un "champ" qui est, en général, labourable - "Prat" : prairie, souvent humide, où l'on fauchait le foin en été - " Lan " : lande véritable Quelques exemples : n° 726 : Park Marc'h Bras, grand champ du cheval n° 715 : Park Gwenn, le champ blanc n° 719 : Prat an Houidi, la prairie des canards n° 712 : Prat Vern Haleg, la prairie des aulnes et des saules n° 658 : Convenant Gozh Spern, le convenant de la vieille aubépine n° 481 : Convenant Bord Hent Gozh : le convenant au bord du vieux chemin n° 716 : Lanneg vras. la grande lande n° 434 : Lan Yan Mai Le Faucheur : la lande de J.M. Le Faucheur... pénurie de combustible Jusqu'en 1960, les paysans qui n'étaient pas propriétaire de leur ferme ne pouvaient couper les branches d'arbres que tous les neuf ans (si le propriétaire ne leur donnait pas congé). Il était, bien sûr, interdit de couper les arbres. Les talus étaient donc, le plus souvent nus. Le bois était rare et, à Saint Nicodème, il fallait aller l'acheter dans la forêt de Kergrist-Moëlou ou dans celle de Duault. Pour se chauffer un peu en hiver mais surtout pour cuire la nourriture familiale et celle des cochons "on faisait feu de tout bois". Il y avait des champs de genêts qu'on arrachait (tiges et racines) lorsqu'ils étaient assez âgés ; il y avait aussi l'ajonc, dont les jeunes pousses étaient broyées pour les chevaux, et dont les troncs et les grosses tiges étaient aussi brûlées dans les cheminées. Pour les fermes proches des landes tourbeuses, une autre ressource existait : la tourbe et les mottes. La tourbe (taouarc'h) était extraite de fosses, là où elle était en épaisseur suffisante (parfois jusqu'à un mètre cinquante). A l'aide d'une sorte de bêche (broc'h pal), on l'extrayait puis on la découpait en petits morceaux avec une machine (an troc'herezh taouarc'h) que l'on laissait sécher deux semaines environ avant de les mettre en petits tas. Ces bêches étaient affûtées par battage, comme les faux, et on finissait à la pierre à aiguiser. La tourbe sèche était ramenée à la maison où on l'abritait, en tas, sous une épaisse couche de litière. Ces fosses de tourbages étaient peu nombreuses et situées en dehors du site de Crec'h an Bars : il y en avait une près de Quillaëron (Prat an Taouarc'h), une autre près du Botcol, une autre encore près de Kerbotgue. L'accès de cette dernière était difficile : les charrettes ne pouvait s'y rendre ; on mettait la tourbe sur des planches fixées sur le châssis des rouleaux qui servaient habituellement à tasser la terre, tirés par les chevaux. Là où la tourbe était en plus faible épaisseur (vingt à trente centimètres), il fallait d'abord faucher la litière à la petite faucille puis on taillait la tourbe à la bêche, comme précédemment. Dans les dernières années (1955...), on taillait quelques sillons à la charrue brabant : c'était plus rapide et moins pénible. En prévision de ce travail, on faisait tremper le soc de la charrue chez le forgeron. Les sillons étaient ensuite découpés à la bêche.

 Mais dans la plus grande partie de la cuvette de Crec'h an Bars, la tourbe ou le sol de lande étaient très peu épais et on arrivait vite à l'argile blanche. Là, c'était des mottes (monted) que l'on extrayait Dans la lande rase, à l'aide d'une sorte de houe très large (ur varr), aux bords affûtés, on arrachait des plaques de tourbe (ou d'humus noir) mêlée de racines d'ajoncs et de bruyères d'une épaisseur de cinq centimètres environ et de quarante centimètres de côté. Ces mottes étaient mises à sécher à l'envers puis appuyées par deux, l'une contre l'autre. L'extraction était le travail des hommes : les jambes légèrement écartées, on donnait un coup de marr d'un côte, on calait son pied sous la partie soulevée, on donnait un coup de l'autre côté, calé sur l'autre pied ; un dernier coup porté d'avant en arrière, entre les deux pieds, finissait l'arrachage de la motte. Pour la motte suivante, on faisait un pas de côté. Les garçons commençaient à extraire des mottes vers l'âge de treize ans. Les femmes et les enfants étaient chargés du séchage : ils se plaignaient d'avoir les mains pleines d'épines le soir et aussi de la terreur provoquée par les lézards ou les vipères qui s'étaient abrités sous les mottes. Certaines fins d'étés pluvieux empêchaient le séchage et la récolte était anéantie. Tourbe et mottes ne faisaient l'objet d'aucun commerce, chacun récoltait ce dont il avait besoin. Chaque année, il y avait une journée de chantier collectif par ferme. Si la journée n'avait pas été trop longue, le soir, on faisait la fête. S'il y avait une fosse de tourbage pleine d'eau, on s'amusait à sauter par-dessus jusqu'à ce que, trop fatigué par le dur labeur ...et par le cidre, l'un ou l'autre tombait dedans ! Les soirs d'hiver, on faisait une flambée dans la cheminée : le feu était allumé avec du bois puis on mettait la tourbe ou les mottes qui brûlaient doucement jusqu'au lendemain. La tourbe dégageait un gaz qui donnait une flamme bleue, ce que ne faisaient pas les mottes. Cela donnait une odeur particulière à la maison mais comme c'était la même odeur dans toutes les maisons du quartier, personne ne s'étonnait. A Quillaëron, il n'y avait pas de chaudière pour cuire les pommes de terre, rutabagas et betteraves des cochons. On mettait tout cela, avec de l'eau, dans une grande marmite posée sur un trépied et on allumait un feu de bois assez vif puis on construisait une sorte de murette de mottes autour du feu, sous la marmite : la combustion devenait alors plus régulière, sans perte de chaleur. Il fallait un peu plus d'une heure pour cuire le tout. En 1958, l'électricité est arrivée à Quillaëron (1937, au bourg de Saint Nicodème) ; jusque là on s'éclairait à la lampe à pétrole. L'électricité a permis de faire tourner les moteurs des coupe-racines et des broyeurs (Acémo) : il n'était plus nécessaire de cuire la nourriture des cochons. L'extraction de la tourbe et des mottes a cessé en 1959 ou 1960. Dans les landes de Crec'h an Bars, on observe plusieurs cuvettes, assez peu profondes, dans lesquelles s'est implantée une végétation de tourbières : personne n'y a jamais vu extraire de la tourbe. Il est possible qu'elles correspondent plutôt à des lieux d'extraction d'argile pour la construction des bâtiments. La lande, un petit revenu complémentaire La lande était fauchée, à la faucille, tous les trois ou quatre ans, avant que les ajoncs ou la bruyère ne deviennent trop gros. Là où les bêtes avaient pâturé, c'était les refus que l'on fauchait tous les 6 ou 7 ans. La fauche se faisait en juin, juste avant les foins : plus tard, la végétation aurait été trop dense pour les faucilles. Les fermes proches de Crec'h an Bars en avaient plus qu'il ne leur en fallait ; l'excédent était vendu à des paysans des communes voisines qui envoyaient du personnel pour la couper. Côté Convenant Tannou et Ty Toul, le commerce se faisait avec des gens de Duault et Locarn ; côté Quillaëron, c'était plutôt des gens de Callac qui l'achetaient. La lande sèche était chargée en vrac sur les charrettes. L'été, on pouvait passer à peu près partout avec les charrettes car les fossés étaient entretenus tous les ans. La lande était utilisée comme litière dans les étables. Elle a un excellent pouvoir absorbant. Le fumier ainsi formé était de bonne qualité et servait à la fertilisation des cultures. On observe, dans certaines parcelles de landes les moins humides, une ondulation régulière du sol : ce sont les traces de culture en planches, larges de quatre-vingt centimètres environ Personne n'a le souvenir de cette mise en culture qui doit dater de la fin du XIXème siècle, au moins.

 Dans les années 1970, avec l'apparition de tracteurs plus puissants et des rotavators, plusieurs parcelles de landes ont été détruites pour être ensemencées en prairies artificielles. Certaines ont été abandonnées ensuite : on constate qu'il faut trente années pour qu'une végétation de landes (molinie et bruyère) se rétablisse, à condition qu'aucun fertilisant n'ait été apporté et que la fauche ou le pâturage aient perduré sinon ce sont les saules qui envahissent toute la parcelle ! A partir de 1960, la fauche s'est faite à la barre de coupe, avec les chevaux puis les tracteurs. Les botteleuses basse puis moyenne densité sont ensuite apparues, facilitant le chargement et le stockage. En 1997, un seul agriculteur fauchait encore régulièrement quelques hectares de lande près de Quillaëron. Dans les Monts d'Arrées, la récolte de la lande se poursuit activement encore aujourd'hui : les surfaces sont importantes et les grandes parcelles facilitent la mécanisation (bottelage en balles rondes). On l'utilise dans les stabulations des jeunes bovins. Au contraire, à Saint Nicodème, les parcelles sont difficiles d'accès, souvent humides et de forme irrégulière. L'usage se perdait pour ces raisons techniques mais aussi parce que, trop peu nombreux à le pratiquer, les agriculteurs craignaient de se voir attribuer une image rétrograde (mod kozh) ! Les contrats d'entretien des landes, financés par le Conseil Général, ont relancé cette activité. Que des normandes On gardait les vaches dans les landes tourbeuses : elles consommaient surtout la Molinie " flinch " et aussi les jeunes pousses de saule et d'ajonc... A Saint Nicodème, les vaches étaient toutes de race Normande ou Durham (ancienne race britannique importée en France à la fin du XIX ème siècle pour améliorer les races locales). Il y avait plus de Durham côté Locarn mais il fallait aller sur le Morbihan pour trouver des Pie Noires. Jusqu'après la guerre, les vaches étaient maintenues dans les landes en permanence ; il fallait aller les chercher pour la traite et les reconduire ensuite. Certaines journées de Juin où les taons étaient particulièrement agressifs, elles revenaient toutes seules à la maison !

A partir de 1960, début des prairies artificielles, on a cessé d'envoyer les laitières dans les landes. Seules les jeunes bovins, les taureaux et les chevaux continuaient à pâturer. Il y avait alors beaucoup d'oiseaux : des courlis, des vanneaux, des bécassines... qui se nourrissaient des insectes trouvés près des bouses et dans les endroits boueux piétines par les animaux. Il y avait aussi beaucoup de grenouilles dans les mares. Tout cela a pratiquement disparu aujourd'hui ! c'était il y A 45 Ans seulement Pas de photos, pas d'articles dans les journaux, un mode de vie confidentiel qui s'évanouit doucement dans les brumes de Saint Nicodème. Deux couples de courlis viennent encore, par leurs cris, annoncer la fin proche de l'hiver. Les graines des droséras, elles, peuvent attendre trente ans, dans leur lit de tourbe, que le pied des vaches les sorte de leur torpeur. Toutes les chapelles bretonnes ont été extraites des ronces, ont retrouvé un toit et leur pardon annuel. Notre bocage, nos landes, nos  prairies sont aussi les témoins vivants de notre patrimoine culturel : préservons les!